Le mythe Océanien Le mythe Océanien




Le mythe Océanien

Histoires et légendes

Je dédie ce livre à toutes les "vahiné"de Tahiti, en commençant par celle qui est venue de "L'île de Beauté" pour devenir la mienne.
Pour vous plongez de suite dans le mythe océanien, voici un court métrage pilote sur le projet du film "Le mythe de la vahine des mers du sud"
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Où l'on réinventa la femme…
"Exegi monumentum aere perenius". En rédigeant ses odes, Horace avait bien pour intention de faire une œuvre qui durerait plus encore que l'airain. À juste titre, il en concevait quelque fierté ; l'Histoire lui aura donné raison.
Sans comparer Teva Sylvain au poète latin, force est de constater qu'il a, lui aussi, voulu faire un travail s'inscrivant dans le temps. Mettre au jour et mettre à jour le mythe de la vahiné, c'est un peu fouiller les tréfonds de l'imaginaire occidental, pour découvrir ce qui a pu servir de ressort aux générations d'hommes qui se sont engouffrés dans le vide sidéral du Grand Pacifique.

Aux conquistadores, personne n'enlèvera l'idée fixe de rafler de l'or et des richesses dans le Nouveau Monde. Même démarche et même moteur pour les aventuriers qui ouvrirent des comptoirs tout au long des côtes de l'Asie, du Moyen-Orient à la lointaine Chine.
Les Indiennes étaient-elles si laides qu'on ne leur a pour ainsi dire pas consacré une ligne en un demi millénaire ? Pourtant Cortès lui-même, le boucher de l'empire aztèque, ne dédaignait pas les services de la belle Malinche qui partagea sa couche et le secret de ses machinations. Même constat affligeant en Orient où, hormis quelques anecdotiques Tonkinoises, l'extrême beauté des femmes n'a que peu été chantée, le mythe, si mythe il y a, relevant plus d'activités sordides dans les bas-fonds de la Thaïlande. On rentre ici dans l'évocation du monde des quartiers chauds des villes asiatiques et du tourisme sexuel dans tout l'Extrême-Orient, sujet aux antipodes de notre propos.
Une chose est sûre, en Asie comme en Amérique, l'homme blanc est arrivé peut-être pour convertir, certainement pour s'enrichir. Dans le Pacifique sud aussi nous direz-vous. C'est vrai, mais le fait est qu'il n'y avait pas grand monde à convertir et grand-chose à piller ; ainsi, d'enrichissement spectaculaire n'y eut-il point, même si le commerce des nacres, de la vanille et autres produits des mers du sud a sans doute rempli quelques poches comme quelques cales.
Dans cette région du monde, l'Occidental, à défaut d'or et de pierres précieuses, découvrit ou réinventa… la femme.
Il faut croire que la sienne avait (ou a encore ?) bien des carences pour qu'ainsi, au fil des générations, la vahiné Tahiti ait été parée de toutes les qualités, alors qu'elle n'était qu'un être de second ordre dans l'ancienne société maohi, ni plus belle, ni plus laide, ici, qu'en d'autres endroits du monde. Et, en tous les cas, pas plus encline à satisfaire les moindres désirs de marins frustrés que n'importe quelle fille de port…

Alors ? Alors pourquoi ce mythe a-t-il pu s'enraciner si profondément au point de faire partie aujourd'hui de l'inconscient collectif occidental ?
On peut comprendre que la muraille de Chine, les grandes pyramides d'Égypte, celles tout aussi impressionnantes de la Méso-Amérique (Tikal, Teotihuacan, Palenque…), les cathédrales et les châteaux d'Europe figureront encore longtemps dans l'héritage culturel que se transmettront les générations d'humains. Au moins est-on en face de monuments tangibles, concrets et visibles.
Dans le domaine de notre supposé paradis terrestre et de ses femmes déesses, on est en revanche dans le monde de l'imaginaire, du subjectif, du rêve.

L'amour libre donné par la vahiné lascive a pourtant la vie dure, c'est bien le moins que l'on puisse écrire. En deux siècles, non seulement la carte postale due à Louis-Antoine de Bougainville n'a pas pris une ride, mais sa palette s'est enrichie de couleurs, renforçant encore le pouvoir de séduction de la femme polynésienne. Le passage à l'image, c'est-à-dire à la confrontation du mythe à la réalité, aurait pu briser le miroir aux alouettes, il n'en a rien été, au contraire : des photographes comme Adolphe et Teva Sylvain ont donné ses lettres de noblesse au mythe en même temps que des visages, des formes, des grains de peau et des regards…
L'objet de ce patient ouvrage sur le mythe de la vahiné est de resituer, de replacer dans son contexte historique réel, la femme polynésienne, telle que l'ont découverte les premiers navigateurs européens. Sans aucun doute sont-ils arrivés à Tahiti au bon moment, puisque au siècle des Lumières, des préalables rousseauistes faisaient déjà du " sauvage " un être bon et non corrompu par la société moderne. Sa fille et sa femme ne pouvaient qu'être des créatures désinhibées, ayant élevé l'amour au rang des beaux-arts. Et de fait, les premières impressions confirmèrent très vite ce que, à bord des bateaux, on subodorait déjà depuis des semaines et des semaines de mer : le paradis de l'amour était là, juste devant l'étrave des bâtiments sillonnant le grand continent bleu, le Pacifique.
La réalité, celle que l'Histoire permet de dévoiler au prix d'un long travail, est tout autre et c'est l'un des mérites de cet ouvrage que de remettre les pendules à l'heure. Un Nord-Coréen débarquant à Paris et invité à une soirée "french cancan" rentrerait-il chez lui en affirmant péremptoirement que toutes les femmes de Paris lèvent la jambe bien haut dès la nuit tombée ? C'est pourtant dans un contexte aussi particulier que Bougainville et bien d'autres furent reçus à Tahiti, contexte que leurs idées préconçues leur firent classer au rang des comportements ordinaires et quotidiens de la vie dans les îles.

Le mythe de la vahiné reposerait-il sur un simple malentendu ? C'est en grande partie vrai, mais il n'est pas non plus que cela. Un mythe est souvent plus compliqué à décrypter qu'il n'y paraît. Le mérite d'avoir remis la vérité à nu et d'avoir approfondi l'analyse et la réflexion revient à Teva Sylvain qui, mieux que personne, est bien placé pour comprendre ce phénomène, lui qui en vit, en quelque sorte, à travers nombre de ses activités d'édition au sein desquelles il magnifie, conjugué au mode propre au XXIè siècle, ce fameux mythe de l'amour libre et de la vahiné.
Puisse ce livre vous permettre, vous aussi, de mieux comprendre comment est née cette fascination pour les filles des mers du Sud…

Préface écrite par Daniel Pardon          



Quiros 1595
Les Marquisiennes, petits cadeaux aidant, se donnent aux marins et aux soldats…
Le 21 juillet 1595, Fatu Hiva, l'île au sud des Marquises, est en vue. Mendana se croit arrivé aux fameuses îles du roi Salomon, précisément au pays d'Ophir, où, selon la Bible, le roi Salomon s'approvisionnait en or et en diamants. Le lendemain, il réalise son erreur lorsqu'il voit des Polynésiens nus s'approcher du navire à la nage ou sur des pirogues. La description des habitants de cette île, que nous a laissés Quiros, son navigateur portugais, donne déjà le ton du mythe :
On peut compter environ quatre cents Indiens à la peau presque blanche et de belle stature, grands et robustes, forts, les jambes solides, les mains aux doigts larges, les yeux vifs et les traits du visage agréables. C'est une race propre qui respire la santé et dont le parler même semble vigoureux. Dépourvus de tout vêtement, leurs corps sont couverts de tatouages bleus qui représentent des poissons ou d'autres dessins. Leurs cheveux aussi longs que ceux des femmes sont très souples et certains portent des tresses. Beaucoup d'entre eux sont blonds et accompagnés d'enfants si charmants que l'on ne peut s'empêcher de louer le créateur devant un tel spectacle, même si ces gens là ne sont que des barbares nus…

Après quelques péripéties sanglantes, il faut bien le dire, Quiros donne des précisions sur la nature des femmes de l'île :

Après s'être enfuis quelques temps dans les montagnes, ils reviennent petit à petit. Surtout les femmes qui possèdent de jolies jambes et de jolies mains, de beaux yeux, des visages agréables, la taille fine, et beaucoup d'entre elles sont plus jolies que les femmes de Lima, pourtant réputées pour leur beauté. De petits cadeaux aidant, elles se donnent même librement aux marins et aux soldats… et le mythe prend naissance



Le Mythe Océanien, Genèse
James Cook, avec la plus grande clarté, ce qui le caractérise, est le premier à nous entretenir sur la religion des Tahitiens, l'origine qu'ils donnent à leur existence, la manière dont ils répondent lorsqu'il s'agit de l'au-delà. Un sujet passionnant quand on sait que le peuple polynésien, après avoir quitté les rives du Sud-est asiatique, dans des circonstances vraisemblablement liées à la surpopulation, s'est retrouvé complètement à l'écart de toute civilisation pendant probablement plus de 4 000 ans. Des êtres pensants isolés sur de petites îles au milieu de l'océan, comme des poissons dans un aquarium. Un océan désert, perpétuellement désert, au moins jusqu'à l'arrivée des premiers explorateurs. Explorateurs qu'ils ont d'ailleurs pris pour des dieux ! Sur ce sujet, le récit de Cook fait partie des nombreuses versions recueillies et souvent contradictoires, mais la sienne a le mérite d'avoir été entendue de Tupaia, le Tahitien qui accompagnera Cook à bord de l'Endeavour lors de son premier périple dans les mers du Sud, avant de regagner l'Angleterre.

Tupaia, un Tahitien savant
Avant de poursuivre notre exploration dans le passé, Tupaia mérite que nous parlions davantage de lui. Cette petite explication a son importance, car Tupaia était probablement un grand chef Ariioi. Originaire de Raiatea, l'île sacrée, Tupaia, grand prêtre de Teva I Uta, un canton du sud de l'île de Tahiti, est, en 1750, un proche conseiller de la reine Obéréa. Samuel Wallis, dans son récit, nous a parlé de cette reine avec beaucoup d'éloges. Obéréa et Tupaia ont formé ensemble le projet de régner sur toutes les îles de la Société, mais les autres Arii (chefs) ne l'entendaient pas de cette oreille. La défaite que le couple subit au cours d'affrontements tribaux fut si terrible que Tupaia demanda à Cook de l'emmener sur l'Endeavour, probablement pour échapper à la vengeance des Arii soutenant Pomaré 1er, le roi qui va bientôt prendre le pouvoir à Tahiti. Cook constate, avec surprise, que le noble sauvage qu'il a embarqué est un Tahitien savant. Il est capable d'énumérer et de positionner 74 îles sur une carte marine qu'il dessine ; pratiquement toutes les îles polynésiennes y sont identifiées. Son récit sur la création de l'univers et la religion des Tahitiens prend donc toute son importance.

Cook nous explique que le langage religieux des Tahitiens, comme chez les Chinois, est bien différent du langage occidental connu à cette époque, qu'il n'a pas été simple de pouvoir rassembler ces informations, ce qui est le cas pour la plupart des autres pays, à savoir qu'il est enveloppé de mystères et déformé par des contradictions apparentes.

L'origine de l'univers
L'univers est l'œuvre d'un agent infiniment plus puissant que l'homme.
La production de l'univers tiré du néant, que nous appelons création, est ce qu'il y a de plus difficile à concevoir, même pour les hommes les plus perspicaces et les plus éclairés.

Étant donné qu'il n'est pas possible aux hommes de voir cet être capable de produire un ouvrage de cette dimension, il est donc normal de supposer qu'il réside dans cet univers quelque part très loin ; de toute façon, il est invisible par sa nature. Mais il doit avoir créé l'univers de la même manière que la nature, c'est-à-dire dans la succession d'une génération à l'autre. Cependant, l'idée de procréation comprend deux personnes ; les Tahitiens en déduisent que tout ce qui existe dans l'univers vient à l'origine de l'union de deux êtres.

Taaroa
Ils donnent à la divinité suprême, un de ces deux premiers êtres, le nom de Taaroa Tai Hetoomoo et ils appellent l'autre Te Papa, qu'il matérialise comme étant le socle. Ces deux êtres ont engendré une fille, Te Tumata Taio.
Avec son père Taaroa, Tumata engendra les 13 mois de l'année ; par leur conjonction, ces mois, les uns avec les autres, donnèrent naissance aux jours. Ils supposent que les étoiles ont été engendrées en partie par ce premier couple et qu'elles se sont ensuite multipliées par elles-même. Ils expliquent de la même manière l'origine des différentes plantes. Parmi les enfants de Taaroa et Te Papa, ils croient qu'il y a une autre race inférieure de dieux, qu'ils appellent E Atua. Deux de ces êtres ont habité la Terre il y a fort longtemps ; ils ont engendré le premier homme.

Ce premier homme, qui est leur père commun, est né rond comme une boule, mais sa mère prit suffisamment soin de lui pour étendre ses membres. Après lui avoir donné la forme que nous lui connaissons, elle l'appela E Hoti, qui signifie "fini".
Ils croient encore que ce premier homme, entraîné par l'instinct universel à propager son espèce, n'ayant pas de femme autre que sa propre mère pour procréer, en eut une fille, qu'en s'unissant avec elle, il donna naissance à plusieurs autres, avant de finalement faire un garçon. Celui-ci , avec ses sœurs, peupla le monde.



Ariioi
Une société très influente
Avant l'arrivée des Européens, et surtout celle des missionnaires, la société tahitienne entretenait, parmi les membres de la haute société, une caste dont les adeptes étaient appelés "Ariioi". Leurs agissements extravagants ont été décrits avec plus ou moins d'exagération par les premiers voyageurs qui se sont installés à Tahiti. Suivant leur appartenance dans la société polynésienne, on constate que leurs discours concernant les Ariioi sont très différents : un ethnologue fera une description basée sur l'observation de la société "Ariioi" alors qu'un missionnaire s'attachera à faire une description de la société "Ariioi" en termes sataniques. Indéniablement, les "Ariioi" revêtaient une importance capitale au sein de la communauté polynésienne avant et au temps de la découverte ; Cook est encore le premier à nous en faire connaître l'existence.
Pour ne pas commettre d'erreur, il est utile de préciser que les faits, les gestes, la philosophie des Ariioi n'étaient pas monolithiques dans toute la communauté polynésienne. Dire le contraire serait aussi grotesque que d'affirmer que le rituel des sociétés franc-maçonnes est l'unique mode de fonctionnement de la société européenne. Mais il n'est pas impossible que les fabuleuses réceptions pour accueillir les premiers explorateurs qui abordèrent le sol tahitien aient été organisées par les Ariioi : une délicieuse coutume, qui a résisté au temps, puisque de nos jours, l'usage, pour bien recevoir une personnalité, est de lui envoyer un groupe de danse. Souvent le visiteur est ainsi initié au tamuré sous les applaudissements de l'assistance. L'offrande à la déesse Vénus n'est plus de mise, mais l'ambiance festive demeure. Revenons à présent sur ce qui nous a été enseigné au sujet de cette caste.

Principe Ariioi
La philosophie des "Ariioi" dont ils croyaient eux-mêmes qu'elle avait été fondée par le dieu Oro, consistait à dire que toutes les femmes "Ariioi" sont communes à tous les hommes. Forts de ce constat divin, les "Ariioi" s'octroyaient sans limites tous les plaisirs charnels possibles et imaginables. Comble de ce comportement, ils tuaient toujours les enfants nés d'union "Ariioi" pour éviter qu'une ombre puisse les empêcher de vivre de leur réjouissance et de leurs amusements. Ils étaient très fiers de ne pas avoir d'enfants. Leur mission première était de protéger le roi et sa famille sans oublier de les divertir ; ils détenaient la connaissance universelle, constituaient l'armée du roi et jouissaient de ce fait de la reconnaissance et du respect du peuple. Leurs divertissements, d'un raffinement unique, consistaient à organiser de très grandes fêtes au cours desquelles ils exerçaient leurs performances dans des jeux de luttes, des danses guerrières ou sensuelles qui duraient plusieurs jours et pouvaient se terminer par de véritables orgies.



Un fléau pour les missionnaires
Aujourd'hui, à la lecture des nombreux ouvrages sur ce thème, d'après Bengt Danielsson, éminent ethnologue d'origine suédoise, on peut dire que beaucoup de capitaines et de membres de leurs équipages, avec un plaisir non dissimulé, ont pris part aux festivités organisées par la société "Ariioi". En revanche, les premiers travaux des pasteurs ont consisté à lutter contre ce qu'ils qualifiaient de fléau dans la société polynésienne. Cet ordre, en quelque sorte, représentait à leurs yeux une véritable concurrence, qui rabaissait leur prestige et surtout leur efficacité quant à la propagation de l'Évangile. Il n'y a donc rien d'étonnant à apprendre, en lisant les descriptions qu'ils nous ont faites, que les "Ariioi" étaient des espèces de baladins, des libertins sans scrupule qui se déplaçaient en groupes dans toutes les îles pour y répandre la luxure et l'immoralité. Certains missionnaires les ont qualifiés de harpies humaines, qui rassemblaient tout ce qu'il y a de plus odieux, de plus bas et de plus diabolique chez l'homme.
Cette hargne que les missionnaires canalisaient contre les "Ariioi" était, en grande partie, due à leur moralité sexuelle, alors qu'en réalité, la société "Ariioi" pouvait facilement être assimilée à un ordre religieux dont les membres étaient des espèces d'apôtres ou de missionnaires qui jouissaient d'un prestige considérable auprès de la population. Or, ce prestige de la société des "Ariioi" déplaisait fortement aux missionnaires, qui voyaient dans les membres de cette caste leurs véritables rivaux

L'évangile des "Ariioi", s'il n'était pas transcrit dans un livre, était transmis oralement par les tahua (prêtres) ; contrairement à celui des missionnaires calvinistes, il était très réjouissant pour leurs adeptes, ce qui avait pour conséquence d'accroître la difficulté d'évangéliser les Tahitiens.
La légende de Vairumati
Revenons sur l'origine des "Ariioi" d'où est tirée la légende de Vairumati, un des thèmes favoris du peintre Paul Gauguin, une légende amplement relatée par de nombreux écrivains. Nous retenons la version du missionnaire William Ellis, qui porte bien sûr un regard très critique sur l'institution, mais nous donne un éclairage intéressant à plusieurs titres.

La légende affirme que Taaroa créa le monde et que grâce à Hina, il mit au monde, à l'état adulte, Orotetefa et Urutetefa, frère d'Oro, qui faisaient partie des divinités inférieures.

Oro et sa femme Tu-feufeu-mai-i-te-rai vivaient avec d'autres dieux dans le firmament où Oro était initialement le dieu de la guerre avant de devenir le dieu de la fertilité. Mais ce dernier eut des ennuis avec son épouse. Il précipita sa femme acariâtre sur la Terre en la poussant hors du ciel. Tombée et déchue, la femme de Oro se transforma en un tas de sable blanc et demeura ainsi pour toujours.

Devenu mélancolique avec le temps, Oro se plaignit de la solitude, car il se lassait des femmes des sphères célestes où il habitait. Il soupçonnait la présence d'une femme extraordinaire qui demeurait dans une île lointaine. Après en avoir fait la description et précisé toutes les qualités qu'il attendait de cette nymphe, qui, on s'en doute, devait être fantastique, il envoya ses deux sœurs sur Terre pour l'identifier et connaître le lieu de sa résidence.

La tache n'était pas simple ; les deux sœurs fouillèrent consciencieusement les îles les unes après les autres. Les occasions de trouver de belles femmes étaient nombreuses, mais à propos de chacune d'elles, après longues concertations, après de minutieuses vérifications pour s'assurer qu'elles correspondaient aux critères que leur frère Oro avait défini, hélas le profil ne convenait pas. Les deux sœurs écumèrent presque toutes les îles pour trouver la beauté parfaite, puis elles commencèrent à abandonner tout espoir de satisfaire leur frère Oro. Mais elles redoutaient cette perspective ! Dans une ultime tentative, elles décidèrent de poursuivre leurs recherches dans une île appelé Bora Bora.

Au pied de la montagne Maua-tahuhu-ura (montagne aux arêtes rouges), se trouvait une crique bordée de sable blanc. L'ondulation du lagon venait achever sa course délicatement sur la berge. Une jeune femme demeurait assise sur un tapa disposé à l'ombre d'un arbre. Elle occupait son temps du matin au soir à enduire sa longue chevelure d'huile de monoi tout en chantonnant.

Le chant de cette nymphe attira l'attention des deux sœurs, elles s'en approchèrent et constatèrent, avec une joie non dissimulée, que son visage était éblouissant comme la lumière du soleil lorsqu'il est à son zénith, que ses yeux luisaient comme les étoiles dans le ciel bleu de la nuit, ce qui correspondait parfaitement à la description que leur frère avait faite.

En passant le long de la berge, elles s'approchèrent de la belle qui les reçut fort aimablement, comme si les deux sœurs étaient des amies d'enfance qu'elle n'avait pas vues de longue date. Sans détour, les déesses lui expliquèrent l'objet de leurs recherches l'entourant d'éclairs qui la rendirent divine, comme elles.
Vairumati, telle était son nom, répondit, comme l'aurait faite toute Polynésienne de son âge dans un cas pareil : "si votre frère est de noble naissance, éternellement jeune, plus beau que tous les fils de l'Homme, il est le bienvenu".



Revenues dans les cieux, les deux sœurs retrouvèrent hâtivement leur frère Oro et lui dirent le succès de leurs démarches parmi les filles de l'Homme. Elles avaient trouvé une femme pour lui : une "vahiné purotu aiai", c'est-à-dire une femme possédant tous les charmes.
Oro, curieux et devenu impatient, fixa sur le champ une pointe de l'arc-en-ciel dans les cieux et l'autre au pied de la montagne aux arêtes rouges. Il se laissa glisser jusqu'au bas de l'écharpe de Tauurua (Vénus). Lorsqu'il émergea des nuées, il découvrit l'habitation de Vairumati, qui devint immédiatement sa femme. Chaque soir, il descendait des régions célestes en empruntant l'arc-en-ciel et, le matin, il y retournait par le même chemin. Vairumati lui donna un fils qu'il appela Hoa-tabu-i-te-rai (Ami sacré des cieux) Ce fils devint un chef puissant parmi les hommes.
Les fréquents déplacements d'Oro, des cieux à la terre des Hommes, éveillèrent les soupçons de ses deux petits frères Orotetefa et Urutetefa. Ils se mirent à sa recherche, empruntèrent l'arc-en-ciel et se retrouvèrent au pied de la montagne aux arêtes rouges, précisément là où demeurait le couple Oro et Vairumati, avec le petit Hoa-tabu-i-te-rai .

Éblouis par la beauté de Vairumati, ils demeurèrent honteux de rendre visite à leur frère Oro sans apporter de cadeaux pour féliciter la nouvelle famille d'Oro. L'un des frères eut l'idée de se transformer en cochon et en plumes rouges. Les présents furent appréciés par le couple divin, le cochon et les plumes rouges demeurèrent, le frère repris sa forme première.

Oro étant très satisfait des offrandes qu'il avait reçues, pour exprimer sa gratitude, il fit de ses frères les premiers dieux constituant la société des Ariioi, une caste supérieure aux hommes. Il déclara que le cochon et les plumes rouges seraient les emblèmes de cette nouvelle société, que leurs chefs seraient ses interlocuteurs sur la terre des Hommes, où ils devaient faire admettre, sans aucune concession, leur supériorité. Il dit : Ei Ariioi orua i te au nei, ia noaa ta orua tuhaa. "Soyez Ariioi sur la terre des Hommes et de la puissance divine que je vous donne prenez votre place pour gouverner".
Oro retourna au ciel accompagné de sa nouvelle famille, il régna du haut des cieux sur tous les Ariioi. Orotetefa et Urutetefa devinrent les "saints patrons" de la société Ariioi.

Les Tahitiens ont, de tout temps, été très sensibles aux choses surnaturelles, l'existence même du tabou en est la preuve : c'est sur les bases de cette magnifique légende, où s'entrecroisent divin et terrestre, que la société Ariioi va appuyer sa doctrine.

La doctrine Ariioi
Il est dit que le premier des Ariioi nommé parmi les hommes fut Tamatoa, grand chef de Raiatea. Son origine remonte à 25 générations avant l'arrivée des premiers explorateurs. Tamatoa, investi des pouvoirs d'Oro, se conforma rapidement à sa doctrine. Il forma des sections dans toutes les îles de la Société en commençant par Raiatea, notamment au marae de Taputapuatea (il est admis que ce marae est à l'origine des fondations du culte religieux de la société primitive des Polynésiens).



La Tahitienne
Selon James Morrison
James Morrison, second maître à bord de la "Bounty", faisait partie des mutins qui ont séjourné deux années d'affilée à Tahiti. Une période qui se situe après que la mutinerie eut éclaté à bord et lorsqu'il fut mis aux arrêts par les Anglais dépêchés à Tahiti pour ramener les mutins et les faire juger en Angleterre. Il est de ceux qui n'ont pas suivi le capitaine Christian Fletcher parti se cacher dans une île inconnue, Pitcairn. On peut affirmer qu'il est le premier Européen à avoir longuement vécu auprès des Tahitiens, deux ans. Ainsi, a-t-il consigné leur mode de vie avec la sensibilité d'une personne attachée à bien recadrer ce qui a été écrit à propos des Tahitiens de manière beaucoup plus juste par rapport à ceux qui n'ont passé qu'un séjour de quelques semaines, voire de quelques jours seulement.
Suite à la complexité du procès dont il sort innocenté, son journal sera publié, partiellement tronqué. En 1935, son manuscrit sera enfin intégralement édité. Tout le monde s'accorde à dire que ce document est, à ce jour, le reflet le plus fidèle connu sur la manière de vivre des Tahitiens avant l'arrivée des Blancs. Intitulé "Journal de James Morrison second maître à bord de la Bounty", ce document fort intéressant nous apporte un éclairage déterminant sur la société tahitienne, notamment en ce qui concerne la femme tahitienne.

"Les femmes ne sont jamais sacrifiées, ni leurs serviteurs et elles ne sont jamais autorisées à assister ou à partager où à participer à une fête sur le marae. Elles ne peuvent pas non plus manger la nourriture qui a été touchée par une personne sacrée, même s'il s'agit de leur mari… Les hommes et les femmes mangent séparément et pour cette raison une famille a généralement deux maisons sauf dans le cas où l'homme décide d'habiter dans la maison de sa femme, et alors chacun mange dans son coin.
Les enfants prennent leur repas avec leur mère jusqu'à la levée des restrictions, mais cette dernière ne peut toucher à la nourriture des enfants ; lorsque la nourriture des enfants est amenée à la maison, elle ne doit pas utiliser la même entrée que la nourriture de la mère ; lorsqu'ils voyagent, les provisions de l'homme et de la femme doivent être dans des pirogues distinctes, les enfants pouvant utiliser les unes ou les autres.

Les femmes ont leurs propre arbres à pain, ne pouvant en utiliser d'autres ; elles ont des pêcheurs spéciaux pour leur apporter du poisson, mais si ces derniers attrapent un requin, une tortue, un thon ou un mahimahi, qui sont des poissons sacrés, elles ne peuvent les manger, mais peuvent en disposer comme bon leur semble. La plupart des premiers voyageurs ont émis l'opinion que le cochon leur était aussi interdit, ce qui est certainement une erreur, car toute femme peut manger du cochon si elle se donne la peine de l'attacher et de l'empêcher d'aller se nourrir sur un autre terrain que le sien…

L'homme peut utiliser la nourriture de sa femme mais il ne doit toucher que ce qu'elle lui donne et tout en étant autorisé à pénétrer dans la maison de sa femme , il ne peut toucher à aucun des ustensiles de cuisine sous peine de les rendre inutilisables pour elle. Il peut les utiliser, mais elle sera obligée de remplacer tous ceux qu'il a touchés.

Une femme ne peut manger dans une maison qui a été occupée par un chef à moins d'être de même rang que lui, et dans ce cas elle peut manger en sa présence ; si une femme de rang inférieur se nourrit dans une maison ou dans une pirogue qui a été occupée par un chef, elle est non seulement sévèrement battue mais sera privée de tous ses biens ; aussi les femmes ont bien soin de ne pas enfreindre cette règle, et sachant que bien peu sont capables de garder un secret, elles refusent toujours de manger devant les hommes lorsqu'elles sont invités, se contentant d'accepter la nourriture offerte pour en faire profiter leurs proches ; c'est peut-être aussi la raison pour laquelle plusieurs chéfesses qui refusaient de prendre un repas à table mangeaient par contre de bon appétit avec leurs serviteurs.

… Les vêtements portés par les hommes et les femmes sont à peu près les mêmes, sauf que chez les femmes le vêtement descend un peu plus bas au-dessous de la ceinture ; elles s'habillent avec une négligence étudiée qui, avec la propreté de leur vêtement, les avantagent beaucoup ; de plus, comme elles se lavent trois fois par jour, elles n'ont aucune odeur désagréable et un étranger qui se trouverait au milieu d'un millier d'indigènes ne serait incommodé que par la chaleur.
Le costume est fait de pièces carrées et celui des hommes est constitué en premier par une pièce longue et étroite appelé maro qui est passée entre les cuisses et autour de la taille ; une extrémité pend par devant jusqu'aux genoux et l'autre pend de la même façon dans le dos.

La matière en est du tissu ou de la natte, pour le beau temps et la pluie ; puis une pièce de tissu oblongue de 2 m de longueur et de 50 cm ou de 1 m de largeur avec une fente dans le milieu pour passer la tête et qui pend devant et derrière, également faite en tissu ou en natte, et s'appelle tiputa ; une pièce faisant une fois et demi le tour de la ceinture, rentrée à la hanche et qui pend jusqu'aux genoux ; chez les femmes elle descend jusqu'au mollet ou à la cheville ; cela s'appelle pareu ; autour de la taille ils portent une ceinture ou écharpe faite de cheveux tressés et travaillée comme un filet, appelée tatua. Tous ces vêtements sont portés par les deux sexes sauf le maro que les femmes ne portent jamais, sauf quand elles vont à la pêche ou quand elles luttent, le pareu risquant d'être arraché. Au lieu du maro, elles portent un pareu plus court, sorte de jupon et une grande pièce de tissu faisant un manteau de plusieurs mètres.

Les enfants des deux sexes se promènent nus jusqu'à 5 ou 6 ans et les garçons sont circoncis à 13 ans, non en raison d'une coutume religieuse, mais pour des raisons de propreté ; le prépuce est fendu sur la partie supérieure avec une dent de requin et après une application de cendre pour arrêter le sang, on laisse la plaie se cicatriser sans autres soins, ce qui dure quelquefois un mois et plus, bien que leur chair se cicatrise très bien. Ceci de même que le tatouage et les incisions sur les hanches, n'est pratiqué que s'ils le désirent ; cependant, une personne qui n'aurait pas subi ces opérations risquerait de s'attirer des reproches et de se faire interpeller en public et il est aussi mauvais de ne pas avoir ces marques que, pour nous, de ne pas être baptisés ou de se promener tous nus.



Purea et Amo
C'est le cas de l'actuel Temarii, le seul enfant que Purea sauva ; ayant accouché seule, elle sauva l'enfant bien qu'en ayant tué plusieurs autres, car, avec son mari Amo, elle faisait partie de la société des Ariioi : il la quitta pour cette raison mais ils se réconcilièrent plus tard et le garçon devint son héritier.

… Une femme ne craint pas de montrer ses formes, au cours d'une danse ou au bain, si elle sont parfaites ; si elle ne le sont pas, elle évitera autant que possible de se montrer et bien qu'hommes et femmes se baignent fréquemment ensemble, ils sont en cette occasion plus remarquables par leur décence que par leur légèreté.
Leurs maisons n'ont pas de murs et ils n'en ont aucun besoin ; malgré cela on ne peut les accuser d'avoir des relations sexuelles en public, car autant que nous ils aiment être à l'abri des regards. Au cours de notre séjour dans les îles, je n'ai jamais rien vu qui ait pu me faire penser le contraire et cela bien qu'ils soient de peu de vertu. Toutefois, il ne semble pas qu'on puisse généraliser et les nombreuses familles de certains paraissent indiquer une grande liberté de mœurs.
Il est possible que le comportement de certaines femmes ait à sa base une idée de profit, porté à un point voisin de l'indécence, mais quels sont les pays qui ne produisent pas de femmes semblables ? Le fer est plus précieux pour eux que l'or, et, pour se procurer de l'or, certaines de nos femmes n'hésiteraient pas à commettre des actes d'indécence et même d'horribles crimes dont la seule pensée ferait trembler ce peuple. S'ils peuvent acheter du fer en contrepartie de leur beauté ou se le procurer par le vol, ils le feront. Ils ne considèrent aucun de ces moyens comme un crime. Ils en connaissent la valeur et estiment qu'il n'y a pas de prix trop élevé.

Nous n'ignorons pas que l'or est préféré dans certains pays et que certaines femmes parmi les plus distinguées en Europe ont la réputation de le préférer à la vertu, et cependant nous reprochons à ces populations innocentes et livrées à elles-mêmes des actes que nous les incitons à commettre.

Celles qui font le métier de leurs charmes en connaissent la valeur et lorsqu'elles viennent à bord, amènent avec elles leurs entremetteurs, soit disant leurs parents, qui font et reçoivent le prix ; ces dames sont aussi qualifiées dans leur profession que celles des autres pays et ne sont nullement embarrassées d'indiquer leurs exigences, mais si un homme a un ami, ce dernier ne peut avoir de relations avec aucune femme de la famille, en dehors de la femme de son ami, toutes les autres femmes devenant pour lui des parents avec lesquels il serait abominable d'avoir des rapports ; on ne peut les persuader sous aucun prétexte de changer cette façon de voir, car ils détestent autant que nous de prendre pour femmes des membres de leur propre famille.

Les femmes de haut rang sont remarquables pour leurs pratiques licencieuses et beaucoup d'entre elles ont plusieurs favoris, ce dont elles sont très fières ; tandis que dans les classes inférieures, nombreuses sont les femmes qui peuvent être considérées comme honnêtes, n'admettant jamais qu'un autre homme partage leurs faveurs.

La fameuse reine Purea étant elle-même une Ariioi, il ne faut pas s'étonner que ses compagnons et sa suite se soient livrés à toutes sortes de pratiques licencieuses ; sa cour était remplie de personnes qui préféraient les rites de Vénus à ceux de Mars et avaient constaté qu'ils étaient plus agréables aux visiteurs, ce qui est toujours le cas avec les marins après un long voyage !
Après avoir fait connaissance avec le mode de vie de la société polynésienne avant l'arrivée des Européens, même si les divers témoignages ne sont que partiellement retranscrits, il nous est possible, à l'aube du troisième millénaire, d'imaginer l'état d'esprit et l'ambiance qui prévalaient à cette époque. Concernant les femmes tahitiennes, malheureusement ou heureusement, les écrits qui nous sont parvenus se contredisent ; ce sont sans doute les prémices de l'amour qui alimentèrent petit à petit le mythe océanien, le mythe du paradis, le mythe de l'amour libre, le fameux mythe de la vahiné.

Le beau sexe au rang des subalternes à Tahiti, pas en Europe !
Avec certitude on peut affirmer que les femmes tahitiennes, dans l'ancienne civilisation, n'étaient que des subalternes au service de l'homme. Mais si l'on se réfère aux différents textes produits par les Européens à la fin du XVIIIè siècle, tout nous prouvent le contraire. En 1778, le scientifique J.R Forster, compagnon de Cook, présente le résultat de ses observations dans un chapitre qu'il intitule : "Des principes, des concepts moraux, des mœurs, du raffinement, du luxe et de la situation des femmes parmi les indigènes des îles des Mers du Sud" … Tout était pour le mieux et cela était dû surtout aux femmes. Il explique de manière admirable, en détails, son analyse sur le beau sexe à Tahiti :
"Les femmes mènent un genre d'existence raffinée, possèdent une tournure d'esprit brillante, une imagination vive et pleine de fantaisie, une intelligence et une sensibilité d'une admirable acuité, une grande douceur de caractère et le désir de plaire… qualité qui, alliées à une primitive simplicité de manières, unies à une franchise charmante, à un corps aux proportions magnifiques, à un sourire irrésistible et à des yeux plein de douceur et de feu, captive le cœur des hommes de leur pays et leur assurent une influence juste et modérée sur les affaires domestiques et même publiques."
L'Europe se passionne pour les voyages d'explorations
Le siècle des Lumières, en France et en Angleterre, est une période l'exaltation intellectuelle ; le grand public est bercé par les rêveries et l'imagination des premiers voyageurs dans les Mers du Sud. Le succès des œuvres permet aux éditeurs de l'époque de lancer de grandes compilations qui n'omettent jamais de citer la période tahitienne, car c'est elle, avec son parfum d'érotisme sauvage, qui occupe la pensée contemporaine. "Voyages pittoresques", "Tour du monde", "Bibliothèque des Voyages", "Relation des Voyages"... Mais tous ces voyages ont une origine commune : le livre de Charles de Brosses, président du Parlement de Dijon. Ce magistrat érudit, passionné de navigation, n'a jamais navigué, mais il connaît en détail tout ce qui s'est passé dans cet hémisphère mystérieux. La compilation qu'il rédige de ces explorations, "Histoire des navigations dans les Terres Australes", relance, en France et en Europe, le fameux débat sur la découverte de la "Terra Australis Incognita". D'après tous les géographes, c'est un continent bien plus grand et bien plus riche que l'Amérique et l'Asie réunies.

Le mot Polynésie a été inventé par Charles de Brosse en 1756, dix ans avant que Wallis ne découvre Tahiti. L'appât du gain motive les grands pays qui mobilisent des sommes très importantes pour lancer ces missions d'exploration, sans succès, à la recherche des terres australes. Pour alimenter notre dossier sur le mythe océanien, nous retiendrons les trois principales expéditions dans les Mers du Sud.




Envoyer les femmes au lieu d'attaquer ...



Le rang des femmes dans la société tahitienne
Sauf à Tahiti, les Anglais, on le sait, sont peu enclins à établir des échanges avec les naturels des pays qu'ils colonisent, contrairement aux Français. Cette petite note dite en passant ne doit pas nous écarter du sujet qui nous intéresse. Les Tahitiens avaient si peu de considérations pour la femme qu'ils estimaient qu'elle était impure et que cette maladie, comme la varicelle ou la rougeole, était contagieuse. Notre érudit suédois disait :

"Si un homme s'assied ou s'étend là où d'ordinaire les femmes dorment ou se reposent, ou qu'il utilise pour oreiller un article vestimentaire féminin, il en sera souillé, son tapu, l'ichor sacré, sera contaminé par le contact avec ce qui est impur, et il s'en suivra que son équilibre spirituel, physique et intellectuel sera sérieusement affecté et mis en péril."
Non seulement les femmes sont impures, mais elles sont même dangereuses pendant leur période de menstruation. Ainsi, on confinait la femme dans des lieux isolés appelés "hale pea", où elles demeuraient à l'écart des hommes pendant la durée de leurs règles. Si l'homme était surpris en train de s'approcher d'une femme au cours d'une telle période, il était puni de mort. Les Tahitiens, superstitieux, considéraient qu'une femme qui avait ses règles portait malheur à celui qui l'approchait. Ils pensaient que les conséquences des malheurs auxquels ils s'exposaient dans ce cas là étaient plus graves que la peine de mort.

Pauvres vahiné ! Avant l'arrivée des Européens, leur vie n'était pas un long fleuve tranquille ! Elles ne pouvaient donc pas manger la même nourriture que les hommes, ni dans le même endroit qu'eux. Les maisons étaient construites en tenant compte d'un endroit distinct pour l'homme et pour la femme. Un missionnaire des îles Marquises précise que n'importe quelle famille, si pauvre soit-elle, qui se rend pour pêcher ou se livrer à toute autre activité dans quelque lieu inhabité, construit immédiatement une maison tabou, dans laquelle aucune femme ne doit rentrer. Toujours dans la rubrique des injustices à l'égard des femmes tahitiennes, si un homme touchait sans le vouloir les affaires de sa femme, la femme ne pouvait plus s'en servir, mais rien n'interdisait au mari de les utiliser par la suite. Les règles de vie de la société polynésienne étaient dans leur ensemble faites pour les hommes. Ainsi les tabous étaient toujours à l'avantage des hommes.

Mais suivant les îles, les restrictions qui pesaient sur la vie des femmes polynésiennes n'étaient pas les mêmes. Aux îles Samoa, les missionnaires nous disent que les femmes n'avaient pas le droit de manger du porc rôti, du thon, du poulet ou de la tortue, ces plats étant réservés aux hommes. Quelquefois, même les bananes et les noix de coco étaient interdites aux femmes. Si de pareilles prescriptions ont pu exister, était-ce une généralité ? James Morrison rapporte que "les femmes ont leur propre arbre à pain, ne pouvant en utiliser d'autres, elles ont des pêcheurs spéciaux pour leur apporter du poisson."

Les enfants chez les Tahitiens
Qu'en est-il des enfants ? On peut se poser la question. James Morisson, dans son journal, nous donne les précisions suivantes :

"Lorsqu'un enfant naît, garçon ou fille, il est porté au marae familial (chaque famille en possède un). Pendant que la mère prend un bain chaud, le père et les prêtres se rendent au marae et offrent un cochon ou bien un poulet au dieu, et le prêtre coupe le cordon ombilical à 15 cm du ventre avec un morceau de bambou fendu et l'enterre dans le marae, tandis que les autres prient. La mère entre dans la hutte construite pour l'occasion et attend son enfant qui lui sera porté par une aide. Tous trois doivent rester dans la hutte jusqu'à ce que le cordon ombilical de l'enfant tombe. Si l'enfant est un garçon, ils peuvent enterrer le cordon dès qu'il tombe. S'il s'agit d'une fille, le cordon est quelquefois conservé de 15 jours à 3 semaines, pendant lesquelles la mère ne peut toucher elle-même à aucune nourriture et doit être nourrie par quelqu'un d'autre. Toute personne qui touche à l'enfant doit se soumettre à cette même restriction… "

Pour lever les tabous, les Tahitiens exécutent une cérémonie appelé "amoa" pour les garçons et "faatoi" pour les filles. Pour les garçons, des cochons ou des poulets sont toujours offerts, alors que pour les filles, un poisson suffit. James Morisson ajoute que les grandes restrictions ne prennent forment pour elles que lorsqu'elles ont 16 ou 17 ans. Dès lors, les demoiselles font très attention aux choses qu'elles touchent et aux maisons dans lesquelles elles pénètrent. Les garçons, eux, sont libérés dès que le père est en mesure de le faire.



Le peuple polynésien
Ses origines
nous n'allons pas entièrement reprendre le thème des migrations polynésiennes, peuple originaire du Sud de la Chine, mais simplement donner quelques indications générales pour situer l'époque des migrations par rapport aux évènements connus en ce temps là.

50 000 ans avant JC, le dernier âge glaciaire s'accompagne d'un faible niveau des océans. L'Asie du Sud-Est, Bornéo, Java, les îles Philippines, l'Australie, les îles Fidji et Salomon sont accessibles à pied, ce qui explique la présence d'une population de type négroïde, les Mélanésiens. Hostiles à la mer, ils ne connaissent pas la navigation ; le cœur de leur territoire s'étend jusqu'en Nouvelle-Guinée, chez les actuels Papous.

10 000 ans avant JC, la terre se réchauffe, la surface de l'océan remonte de cinquante mètres, ce qui a pour effet d'isoler l'Australie, la Tasmanie et nombre d'autres terres. Apparaissent alors les archipels de la mer de Chine, du Japon et des Célèbes.

4 000 ans avant JC, les Taïwanais se retrouvent séparés de la Chine par le détroit de Taïwan. Les Chinois font leurs premiers pas sur la mer à bord de pirogues à balanciers pour rejoindre les îles de l'archipel du détroit de Taïwan. Devenus peu à peu experts dans l'art de la navigation, ils atteignent, à bord de pirogues doubles les Philippines, l'Indonésie, puis la Nouvelle-Guinée. Ces grands navigateurs apportent avec eux tubercules et rhizomes, cultures que les temps glaciaires dans leur région d'origine n'ont pas interrompus : "taro, tarua, ufi, umara, fei, meia". Ils vivent aussi de la pêche et du ramassage de crustacés. Ce peuple de navigateurs étend son territoire depuis son berceau au sud de la Chine jusqu'à Madagascar, où l'on retrouve la pirogue à balancier, certaines de leurs coutumes et une langue commune sur la base austronésienne.

2 000 avant J.C., les Mélanésiens, peuple négroïde des îles Fidji, des Tonga, de la Nouvelle-Calédonie, du Vanuatu, de la Papouasie Nouvelle-Guinée, de l'archipel Bismarck, des Salomon, cohabitent avec les Austronésiens et forment petit à petit les proto-Polynésiens.

1 500 avant J.C., ces proto-Polynésiens, qu'on appelle aussi les Lapita, atteignent, à partir des îles Fidji et des îles Tonga, les Samoa, où ils établissent des sociétés puissantes et bien organisées. Puis, vers 500 ans avant notre ère, ils reprennent leur expansion ; on trouve la trace de leur présence aux îles Marquises et ainsi de suite dans tout le triangle polynésien avec, au nord, les îles Hawaii, à l'est, l'île de Pâques et, au sud-ouest, la Nouvelle-Zélande.



"Faites l'amour, pas la guerre", une nouvelle coutume Ariioi
Lors de ce premier échange avec les marins de Wallis, les jeunes vahiné sont convoyées par un surveillant tahitien ; il s'agit d'un vieux sage qui se présente seul devant le lieutenant Furneaux en espérant que les Anglais soient sensibles aux jeunes filles, car il n'en est pas si sûr. Heureusement, les Britanniques ne mettent pas longtemps pour lui ôter ce doute.

Les jeunes beautés envoyées à bord pour honorer les matelots réalisent rapidement qu'elles sont l'objet d'une grande convoitise et qu'à leur tour, les navigateurs ne ménagent pas leurs efforts pour célébrer leurs nouvelles victoires.

Elles remontent à bord non pas en tant que butin gagné par les vainqueurs, mais en tant que négociatrices pour obtenir des clous, des pots en fer, des miroirs, des outils, des armes et toutes sortes de bagatelles dont elles-mêmes sont friandes. Ce type de commerce, qui peut apparaître pour certains comme relevant du plus vieux métier du monde, est très valorisant pour les Polynésiens.

La rage de posséder des objets en fer

En effet, l'arrivée du "Dolphin" et de tous les bateaux qui vont suivre représente pour les Tahitiens un lien avec une civilisation supérieure qui va leur faire comprendre, du jour au lendemain, le décalage technologique énorme entre eux et leurs visiteurs. Les Tahitiens s'aperçoivent qu'ils manquent de tout, que leurs outils et leurs armes sont obsolètes, ridicules même comparés à ceux des Occidentaux. Les appétits des uns et des autres n'auront pas de limite, c'est la grande débauche aussi bien de la part des Tahitiens que des Européens...

Mais les Tahitiens, au-delà des fruits, des cochons et de quelques objets précieux, n'ont pas grand chose à offrir en contrepartie des marchandises que leur apportent les bateaux. Il faut dire que les cap-horniers sont de plus en plus nombreux à faire halte dans ce petit paradis accueillant et particulièrement hospitalier.

La femme devient naturellement une monnaie d'échange pratique et facile pour le négoce !

Quoi qu'elles fussent très disposées à accorder leurs faveurs, elles en connaissent trop bien la valeur pour les donner gratuitement. Le prix en était modique… (Wallis).

Les navigateurs se sont vite donné le mot, ils relâchent à Tahiti pour profiter des femmes libres qu'ils peuvent soudoyer pour pas cher, avec quelques clous et autres broutilles. D'autant que la demande en marchandises de toutes sortes devient de plus en plus forte chez les Polynésiens.

Les Tahitiens deviennent boulimiques, convoitent tout, mais, en contre-partie de ce qu'ils désirent, n'ont que leurs femmes. Thomas Haweis, père de la première mission évangélique envoyée à Tahiti, a trouvé les arguments pour excuser le débordement des Tahitiennes. Le mariage est une institution respectée et les femmes de Tahiti sont aussi bonnes épouses et mères que dans n'importe quel autre pays, que ce n'est pas forcément le sexe féminin qui provoque. C'est surtout la rage de posséder nos objets en fer qui fait que les femmes en perdent toutes, le sens de l'honnêteté et de la pudeur.
Petit à petit, les Tahitiens en viennent donc à marchander leurs propres épouses en plus des femmes célibataires.
Il n'y a pas de mal à monnayer les charmes de son épouse
Pourquoi les Tahitiens n'éprouvent-ils aucune gène à monnayer leurs épouses ? La réponse est en partie culturelle, il s'agit des principes de base d'une société soumise à la caste Ariioi :
''Toutes les femmes sont communes à tous les hommes !'' Ceux qui établissent les premiers liens avec les étrangers sont en particulier les membres de cette société. Des personnages imbus de leur autorité surtout à l'égard du sexe faible qu'ils ont complètement inféodé. Ils portent un grand intérêt à devenir les intermédiaires obligés des étrangers. La mainmise qu'ils ont sur les femmes leur a toujours été salutaire ; dans cette perspective, leur influence ne cesse de grandir. Ils ont été capables, on doit le constater, de faire admettre au peuple qu'il n'y a pas de mal à monnayer les charmes d'une femme, voire de sa propre épouse, si cela permet de se procurer ce dont ils manquent pour leur bien-être et surtout pour confectionner leurs armes.

Les jeunes Tahitiennes, même célibataires, approuvent la fidélité !
Nous avons la preuve que les jeunes Tahitiennes, même célibataires, ne partageaient pas les préceptes Ariioi, mais qu'elles y sont contraintes. Cela se passe quelques jours après l'arrivée du "Duff" à Tahiti. Les missionnaires anglais sont bien accueillis, Ha'amanemane, un grand prêtre de Pare, monte à bord accompagné de cinq de ses femmes dont pas une ne dépasse l'âge de 15 ans.

Après avoir obtenu la grande cabine pour passer la nuit, il offre une de ses épouses au capitaine Wilson, mais reste stupéfait de constater que le capitaine la lui refuse. Le capitaine explique au vieux prêtre, complètement interloqué, combien l'état de polygamie est contraire à celui du bonheur. Les femmes, ajoutent-il, ''ne sont jamais aussi attachées, fidèles, affectueuses et attentives au bonheur du foyer que lorsqu'elles se savent sans rivales''.
Alors que le vieux prêtre ne paraît pas être d'accord, ses cinq épouses approuvent bruyamment le capitaine Wilson et déclarent que cette coutume anglaise est très bonne.
Les Tahitiennes découvrent à leur dépend les us et coutumes des étrangers

Le vrai problème à présent n'est pas le commerce obtenu en échange des femmes, ni les Européens qui tombent sous le charme des Tahitiennes, on a même l'histoire d'un missionnaire qui succombe, envoûté par une vahiné, Thomas Lewis. L'interrogation de fond est posée par la Tahitienne qui, malgré les maladies vénériennes qu'elle attrape au contact des étrangers, éprouve à leur égard une préférence de plus en plus marquée, notamment pour leurs coutumes, leurs babioles et surtout pour le rhum. Il n'est pas question, ici, d'accuser les Tahitiennes d'être des alcooliques, même si la gente féminine tahitienne, comme toutes les femmes du monde, est sensible aux plaisirs de la vie (autant les Tahitiens que les Tahitiennes !).

L'alcool et les vahiné
L'arrivée de l'alcool chez ce peuple qui en ignorait la portée a forcément causé de graves perturbations et provoqué un engouement, voire une passion chez certains, aux effets dévastateurs. Le roi Pomaré V, a, dans ses dernières volontés, demandé que son tombeau soit surmonté par une bouteille de Bénédictine !



Adolphe Sylvain
Le révélateur
Adolphe Sylvain est ce qu'il faut appeler un héros survivant de la deuxième guerre mondiale. Les Allemands les appelaient les ''Blits'' et en avaient une peur bleue. Il faisait partie des quelques amis intimes du général Leclerc, qu'il suit en Indochine, non pas en tant que conducteur du char qui le protègera tout au long de la guerre en France, du débarquement sur la plage d'Ouistreham à Berchtesgaden, en passant par la libération de Paris puis celle de l'Alsace, mais en tant qu'officier civil correspondant de guerre. Ce Parisien, né à Montmartre, débarque à Tahiti en 1946 à l'occasion d'une tournée administrative de la marine française, il est âgé de 26 ans.

À Tahiti, un coup de foudre lui fait oublier l'horreur de la guerre. Il consacrera toute sa vie à célébrer sa Tahitienne, Tehani, qui l'attrape dès qu'il sort de la coupée.
Sylvain n'a pas que son appareil photo en bandoulière, il porte également une guitare et connaît toutes les chansons de France. On dit qu'il était la coqueluche de ces dames, mais il n'en regardait qu'une, Tehani, dont la beauté et l'art de vivre le subjuguaient. En poche, son diplôme d'ingénieur ne lui servira pas, en ouvrant une boutique à Papeete sur le front de mer en 1947 ; il commencera modestement ce qui deviendra une grande carrière de photographe et de réalisateur de films cinématographiques à Tahiti. On lui doit d'avoir réellement magnifié la Tahitienne, ce qui a eu pour effet de donner au mythe de la vahiné un nouveau visage grâce à la photographie.

Je ne pourrai jamais assez remercier mon père pour le travail admirable qu'il a accompli, une œuvre colossale, pas toujours bien connue et comprise, mais qui mérite que l'on s'y attarde davantage. Je dois, bien sûr, remercier toutes celles et ceux qui m'ont apporté leur soutien pour avoir fait la promotion du mythe de la vahiné, aussi bien celles qui ont accepté de poser en tant que mannequin, que leurs maris et leurs enfants, qui ont compris le rôle que leur maman a joué, un jour, pour sauver le mythe océanien ou plus simplement celui de Tahiti et ses îles.

Teva Sylvain          

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